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Sexe anal : que signifie «chevillage» ?

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Le chevillage (pegging, en anglais) est une pratique sexuelle durant laquelle une femme pénètre l’anus d’un homme à l’aide d’un gode ceinture. Cette appellation, qui vient d’apparaître, comble-t-elle… une lacune du français ?

Il n’existait jusqu’ici aucun mot pour désigner le fait de procurer du plaisir anal à un homme en le pénétrant à l’aide d’un gode. En 2005, dans une «fantaisie littéraire» remplie de citations vraies et fausses («Le Siège de l’âme. Éloge de la sodomie»), Claude Guillon avait proposé qu’on nomme cette pratique «à l’imparfaite», affirmant l’avoir trouvée dans Le Dictionnaire de droit canonique de Raoul Naz (1965, tome VII) :«La sodomie est dite imparfaite lorsqu’elle intervient entre deux personnes de sexes différents […]. Elle est gravement peccamineuse mais moins que la sodomie parfaite (entre personnes de même sexe)». Claude Guillon aurait volontiers souhaité que cette invention lexicale se répande.L’expression «mettre à l’imparfaite» ne s’est malheureusement jamais popularisée. Les adeptes du plaisir anal en étaient donc, jusqu’ici, réduits à utiliser des expressions allusives («Je me suis fait monter»), à parler technique et prostate («Je me suis fait stimuler le point P») ou à utiliser l’anglais. Le mot anglais le plus courant est pegging. «C’est Dan Savage, journaliste américain qui «invente» ce terme dans sa chroniqueSavage Lovepour le journal The Stranger», explique Miguel, responsable de la boutique Demonia à Paris, où il se vend près de 40 modèles de gode ceintures. Miguel connaît le sujet. «Le pegging est «né» le 21 juin 2001», dit-il. L’histoire, ainsi que Miguel la retrace, commence le jour où Dan Savage s’amuse à faire une liste.

Les 13 mots d’argot pour le dire

En anglais, il y a l’embarras du choix. Le 24 mai 2001, dans un article consacré à la difficile question de la terminologie, le journaliste Dan Savage répertorie au moins 13 expressions pour dire «Je me suis fait sodomiser par une femme, à l’aide d’un accessoire».

1/ Bitch-poking : «se faire fourrer par une salope» (le verbe to poke signifie à la fois «donner une petite tape amicale», l’équivalent du «coup de fil» ou du «clin d’œil» mais il renvoie aussi aux coups de rein plus brutaux)

2/ Strap-on sex : «sexe au gode ceinture» (strap-on signifie «harnais» et renvoie au strap-on dildoe, «gode monté sur un harnais», qu’on traduit en français «gode ceinture»)

3/ Doing SOS : «pratiquer le sexe au gode ceinture» (SOS est l’acronyme de strap-on sex)

4/ Chick-dicking : «se faire pénétrer par une fille» (mot formé à partir de dick«queue» et chick«poule»)

5/ Chick-banging : «se faire défoncer par une fille» (une autre version du gang-banging)

6/ Lass-fucking : «se faire baiser par une chérie» (le mot lass désigne une jolie jeune fille ou une petite copine, par allusion peut-être à Lassie)

7/ She-lunking : «se faire bourrer par une femme» (le mot lunk désigne un «bourrin» ou un bellâtre adepte de musculation. Il s’agirait également d’un jeu de mots sur le terme «spelunking», qui désigne la spéléologie, donc «l’art de s’introduire dans les anfractuosités naturelles», ainsi que le précise un lecteur du blogue. Qu’il soit remercié !).

8/ Soafing : «se faire prendre le cul au gode ceinture» (verbe formé à partir de l’acronyme SOAF, Strap-On Ass Fucking)

9/ Womandriver : «laisser la femme conduire»

10/ Strapping : «faire l’amour avec un harnais»

11/ Femboning : «se faire ramoner par une femme» (le mot bone, «os», désigne le pénis)

12/ Womucking : «se faire baiser par une femme» (mot-valise formé à partir de woman et fucking).

13/ Shebanging : «se faire défoncer par une femme» (une autre version du chick-banging)

En quête du néologisme idéal

Après avoir dressé cette liste, Dan Savage émet cependant une réserve : la plupart de ces expressions viennent du milieu lesbien, dit-il. Elles évoquent trop l’image de filles qui baisent d’autres filles avec un gode ceinture. Par ailleurs, elles sont vulgaires ou trop explicites. Il faut trouver une solution, enchaîne-t-il, appelant ses lecteurs au secours de la langue anglaise. Trois propositions retiennent son attention : bobbing, punting et pegging. Dan Savage demande aux lecteurs de choisir. Laquelle aura leur préférence ? Il en expose tout d’abord le sens.

1/ Bobbing : «se faire prendre à l’envers par une femme». Le verbe bobbing est formé à partir de l’acronyme BOB, qui désigne les Bend over boyfriends («petits copains qui se penchent»). L’expression Bend Over Boyfriend vient d’une vidéo d’éducation sexuelle réalisée en 1998 par un couple de lesbiennes (Jackie Strano et Shar Rednour) dans le but de démontrer que «baiser son copain par le cul, c’est amusant». La vidéo, réalisée avec la sexologue Carol Queen et son compagnon, a tellement de succès qu’une seconde vidéo sort en 1999, avec un autre «vrai» couple en gueststar. A la fin des années 1990 qui voient se populariser les harnais, l’initiation d’un homme au gode ceinture prend la valeur d’un acte de foi queer : les femmes aussi peuvent «tringler». Qu’on se le dise. Les hétéros aussi peuvent jouir par l’anus. C’est la fin des monopoles.

2/ Punting : «se faire botter par une femme» (verbe emprunté au vocabulaire du football et qui désigne le fait de donner un coup dans le ballon pour l’éloigner du but). Ce terme sous-entend que la femme «sauve» l’homme qui était sur le point de tomber dans le camp adverse (celui des homos ?), en l’envoyant, d’un très vigoureux coup de pied, le plus loin possible de la zone de danger. Le punter («botteur de dégagement»)«devient parfois le dernier rideau défensif et donc la dernière personne à pouvoir arrêter la ballon avant la zone d’en-but» (Wikipedia). Ce mot possède une connotation nettement homophobe. Bizarrement, Dan Savage ne le relève pas.

3/ Pegging : littéralement «se faire cheviller par une femme» (verbe formé à partir du mot peg qui signifie «cheville», mais aussi «piquet», «fiche», «patère» ou «clou». Le verbe to peg, quant à lui, signifie : «cheviller», «enfoncer» ou «planter»). L’origine de ce mot est plutôt sinistre : elle désignerait une pratique de dilatation anale, propre aux milieux de la prostitution masculine, qui consisterait – pour les débutants – à porter une cheville de bois dans l’anus afin de se l’élargir. D’où vient cette légende ? Impossible de savoir. Dans les recueils d’épigrammes japonais du XVIIIe siècle, il est courant de lire ce genre d’histoires. Mais aux Etats-Unis ? Il faudrait sur ce point mener l’enquête. Dan Savage, là encore, reste silencieux. Il ne s’émeut guère du contenu latent que le mot charrie, mélange de rumeur stigmatisante et de frayeur larvée. Pour lui, les trois termes sont aussi porteurs les uns que les autres.

Et le grand vainqueur…

Quel terme emporte l’adhésion ? Deux semaines après cet appel au vote, le 7 juin 2001, Dans Savage annonce qu’il a reçu tellement de réponses qu’il lui faudra deux semaines de travail pour dépouiller les résultats. Deux semaines plus tard, le 21 juin 2001, il publie enfin un article : «Le grand vainqueur est…». Il a reçu 12103 réponses. Certaines d’entre elles sont étayées par de longues argumentations : «Bobbing ne convient pas, plaide un lecteur, parce que ce verbe – employé pour désigner le mouvement d’une tête qui va et vient – évoque trop l’idée de la fellation». Punting, non plus, car ce verbe évoque l’idée d’un coup de pied. Pegging, ne convient pas mieux, parce qu’on peut facilement l’entendre Begging («supplier»)… «Ma copine m’a supplié le cul hier soir», ça fait tout de même bizarre. Une femme informe Dan Savage que Bobbing ne va pas parce que, dit-elle, «Beaucoup de femmes baptisent, avec ironie, leur vibromasseur «petit copain sur batterie» (Battery Operated Boyfriend)» et quand elles disent «Hier, Bob m’a fait jouir 4 fois de suite» cela n’a rien à voir avec un gode ceinture. Le débat fait rage. Mais qu’importe. Dan Savage se contente de répondre : les arguments ne comptent pas. Faites votre choix. Une voix, un vote.

… pegging remporte la victoire

Après avoir compilé les réponses les plus intéressantes parmi les 12103 reçues en deux semaines, Dan Savage finit par dévoiler le résultat : 22,5% des lecteurs (soit 2721 personnes) ont opté pour Bobbing. 34,5% (4166) pour Punting. 43% (5216) pour Pegging. «Peg is the winner !, conclut-il. C’est un grand jour pour la démocratie». Depuis le 21 juin 2001, aux Etats-Unis, on dit donc pegger pour «femme pénétrant un homme au gode ceinture», peggee pour «homme pénétré par une femme au gode ceinture» et «I want to be pegged» pour «S’il te plaît pénètre-moi au gode ceinture». Simple, bref, précis. On pourrait bien sûr s’émouvoir du fait que ce mot repose sur une vision négative de la pénétration anale, entendue comme «dilatation forcée à l’aide d’une cheville de bois». Miguel, de la boutique Demonia, a une autre interprétation des faits : «Dan Savage étant connu pour être un activiste gay, je pense mais sans source sûre, qu’il a plutôt utilisé le terme par allusion à l’expression To be taken down a peg : être remis à sa place, se faire rabattre le caquet». S’il faut en croire Miguel, peggingà la valeur ironique d’un renversement des rôles mâle-femelle. «A ton tour de mordre l’oreiller» ? Pourquoi pas. Il serait angélique de voir la sexualité «entre adultes consentants» comme un simple échange de bons procédés. Pour être excitante, la relation doit comporter une zone d’ombre ou de trouble, que les mots cristallisent. A cet égard, le mot «chevillage» manque certainement de force obscure. Depuis quelques mois à peine on le voit circuler dans des dossiers de presse pour sextoys. Est-il adéquat ? Le problème avec les traductions littérales, c’est qu’elles ne réveillent aucun écho dans l’imaginaire collectif. «Tu me chevilles, ce soir, chérie ?». Ça ne marche pas très bien. Au final, la façon la plus virile de le dire reste la plus… frontale. «Encule-moi».

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LA SUITE de ce dossier mercredi prochain, le 20 janvier, avec un article sur LES STRATEGIES INVASIVES DES FABRICANTS DE GODE-CEINTURES.

DEMONIA : 22, avenue Jean Aicard, 75011, Paris. OUvert du lundi au samedi, de 11h30 à 19h30. Tel. : 01 43 14 82 70.

PLUS DE RENSEIGNEMENTS SUR LE PLAISIR ANAL : «Aimez votre boyfriend à l’envers» ; «La sodomie au service de la dictature» ; «Le fist et les débuts du christianisme»

Merci à Fabrice C. de Toronto


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