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Pourquoi la fin du monde nous excite

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Pourquoi la fin du monde nous excite

Il y a des photos de sexe qui donnent envie, terriblement, d’être à la place de ces corps emmêlés d’animaux en rut, en enfer, alors que tout s’écroule dans les flammes. Les photos d’Elizabeth Prouvost donnent cette envie.

La fin du monde nous fouette. Pas besoin d’avaler une pilule rose (ni bleue). Imaginez qu’il ne reste plus que quelques jours : la guerre, l’apocalypse, une mort brutale à venir donnent envie de pleurer et de sexe, toute honte bue, avec n’importe qui, n’importe comment… pourvu que ce soit violent. Aussi violent que ce qui arrive. Venue du cinéma où elle travaille comme chef opérateur de la prise de vue, Elizabeth Prouvost réalise des photographies hantées par la démesure d’une catastrophe à venir. Ce qu’elles montrent, au-delà d’étreintes sexuelles, c’est l’urgence qui se profile derrière ces cuisses arc-boutées et ces visages tordus, aux bouches happant l’air, avec des spasmes de rage… Elizabeth Prouvost photographie l’agonie.

33 photos «comme l’âge du Christ»

Son travail de photographe est déclenché par une lecture. «Je cherchais un sujet où les émotions étaient suffisamment extrêmes pour avoir du mal à les saisir, dit-elle. Quand j’ai lu Madame Edwarda, ce fut une fulgurance.» Elizabeth décide de mettre en images ce texte, – publié par Bataille en 1937 sous une fausse couverture intitulée «Dieu divin» –, qui lui donne le courage de «transgresser ce corps «maudit»» : « A cette époque je n’avais pas compris, de par mon éducation dont le corps était exclu, banni et couvert d’interdits, ce que pouvait être l’extase, mais je la ressentais, je la savais d’intuition.» La lecture qu’Elizabeth appelle sa «rencontre avec Edwarda» cristallise en elle «tout ce que pouvait être l’excès, la vie, la mort. J’ai décidé d’en faire mon premier travail important.» Ce projet lui prend trois années. Parmi les centaines de photos qu’elle réalise, Elisabeth n’en garde que 33.

L’excès relève de l’exception

Les 33 photographies sont publiées en 1995 par Jean-Pierre Faur et suscitent immédiatement l’intérêt : interviewée dans une émission TV (Viva, TV suisse romande), Elizabeth explique : «Pour moi, Bataille, c’est vraiment l’excès de vie. Je pense que c’est ce qu’on recherche tous.» L’excès de vie prend sur ses tirages argentiques la forme de deux corps convulsés, aux plastiques de lutteurs, parfois impossibles à distinguer. L’homme et la femme se déchirent, s’empoignent, s’accolent de tous leurs ongles, avec une férocité presque bestiale. Aucun des deux n’a jamais posé pour un photographe. La femme s’appelle Danae ; son compagnon, Michel. Elizabeth raconte : «Je ne cherche jamais de modèles, ils s’imposent à moi. C’est d’ailleurs souvent un désir qui vient d’eux. Je venais de rencontrer Danaé. La liberté qu’elle avait avec son corps me fascinait, elle pouvait exprimer les sentiments les plus violents, les plus impudiques. Elle participait à toutes mes exigences, toutes mes dérives. Nous avons travaillé plus de cinq ans ensemble».

«J’ai fait la pute aussi»

Dans le documentaire tourné en 1995, Danae dit : «Il faut qu’elle se laisse aller, qu’elle se fasse baiser tout le temps et qu’elle en arrive à cette espèce de folie où elle se prend pour Dieu.» Sans qu’on sache très bien de qui elle parle… Danae continue : «J’ai fait la pute aussi. Tous ces corps d’homme qui peuvent nous passer dessus… On les aime tout le temps. C’était facile, ça rejoint la folie, ça rejoint sa folie à elle. Je peux mourir maintenant. C’est toute une vie qui est là, qu’Elizabeth a réussi à faire sortir. J’étais complètement déjantée, avec l’impression d’être saoule, mais même dans des photos où on me voit crier, je ne le fais jamais.» Pas un seul son ne sortait d’elle au cours de ces séances d’écartèlement. Elizabeth raconte : «Avec Danaé, l’osmose était totale, Il n’y avait plus de durée, plus de mémoire, je rentrais littéralement dans les entrailles de son corps».

«Dieu est une fille publique»

Les photos-témoins de cette apnée sexuelle sont maintenant rééditées, aux éditions crbl, sur des feuilles non reliées, accompagnées des notes et des croquis que la photographe présentait à ses deux modèles avant de commencer la séance : «Revenir au temps de la libre dévoration», est-il écrit, entre deux citations : «Nous ne parvenons à l’extase que dans la perspective de la mort». «Dieu est une fille publique, en tout pareille aux autres...» Pour Elizabeth Prouvost, le secret de Madame Edwarda se trouve certainement là, dans ces petites phrases à valeur d’axiomes : «Bataille a cru vivre une histoire de cul avec une pute et il a rencontré sa profondeur à lui, son expérience extrême. Il a vécu un moment très intense cette nuit-là, possédé d’un désir animal, mais est-ce de lui ou d’elle qu’il parle ? J’associe Edwarda à la part féminine de Bataille. Elle/Il est ouverte sur l’absolu, l’absolu dans l’horreur comme dans l’extase, dans le noir de la nuit, dans les rires qu’il entend et qui l’attirent».

Au bout de quoi ?

Il existe une expression courante : «aller au bout de quelque chose». Aller au bout du plaisir sexuel, c’est aller jusqu’où ? La photographe Elizabeth Prouvost a essayé de sonder cette frontière. «Danae, c’est quelqu’un qui avait envie de vivre cette expérience d’aller au bout», dit-elle. Lorsqu’on lui demande quoi, elle parle d’un «frémissement trouble». Impossible d’avoir du plaisir, semble-t-il, sans la conscience aiguë de la fin. La jouissance devient plus grave. On pense que c’est la dernière fois. On ne calcule plus rien : à quoi bon s’économiser. La peur de mourir et le dégoût de la putréfaction seuls peuvent «re-passionner l’existence», conclut Elizabeth qui parle – au sujet d’Edwarda– d’ «une révélation, une ouverture, un arrachement, un bouleversement des valeurs, une ivresse

«Pour aller au bout de l’extase où nous nous perdons dans la jouissance, nous devons toujours en poser l’immédiate limite : c’est l’horreur.» (Bataille, Préface de Madame Edwarda, 1941).

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SIGNATURE DU LIVRE jeudi 14 janvier, à 19h, à la Cave Showroom Gallery : 71 rue saint honoré 75001 Paris.

A LIRE : Les Guenilles, Edwarda : photographies d’Elizabeth Prouvost, avec carnet de documents préparatoires accompagnés par Edwarda, poème de Claude Louis-Combetet par un CD de musique : divine obscène, improvisations sonores par ex-π (basse et dispositif électronique). Photos : 25×25 cm, 34 feuillets, deux livrets (28 et 8 pages), un cd (40’)

Madame Edwarda ; Le mort ; Histoire de l’œil, Georges Bataille, éditions 10/18.

COMPLEMENT D’INFORMATION : LCI, reportage de Sylviane Mondet, pour la sortie d’Edwarda chez J P Faur éditeur :


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