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Au Japon, les radis chantent d'amour

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Au Japon, les radis chantent d'amour

Connaissez-vous les radis blancs (daikon) japonais ? Dans une oeuvre mêlant Réalité Virtuelle et folklore légumier, l’artiste Etsuko Ichihara a créé une oeuvre surnommée «Interface de harcèlement sexuel», invitant hommes et femmes à faire jouir les navets.

Lesdaikon sont d’énormes navets à la chair juteuse blanche ou rose, longs de 20 à 35 cm. Leur nom signifie littéralement «grande [dai] racine [kon]». Le mot «racine» – homophone du verbe «dormir» (kon), qui signifie aussi «faire l’amour» – fait de ce légume un symbole sexuel si fort qu’il est courant de voir des radis sculptés en érection lors des jibeta matsuri, les «fêtes de la fertilité» durant lesquelles des phallus sont portés en procession (1). Le daikon est un légume suggestif, par ailleurs très apprécié de ceux-celles qui veulent faire des régimes car il est riche en vitamines C mais pauvre en calories. Son nom rappelle le mot dankon («racine mâle») qui signifie «grosse verge» dans la poésie ancienne.

Le légume en transe comme instrument de musique électronique

Lorsque l’artiste contemporaine Etsuko Ichihara décide de faire une oeuvre d’art érotique, son choix se porte naturellement sur le daikon comme support tactile. Au début, il s’agissait pour elle de reproduire une paire de cuisses graciles afin que les gens les caressent. Mais comment faire pour que cette oeuvre soit accessible au plus grand nombre ? Etsuko décide de remplacer les sculptures de jambes nues (trop explicites) par des radis, qu’elle relie à des capteurs de mouvement. Chaque fois que vous touchez les légumes, ils poussent des cris. «C’est une oeuvre très absurde : il y a quatre radis blanc alignés qui gémissent de plaisir quand les gens les caressent. Je me suis inspirée du thérémine car je trouvais que ça sonnait comme un gémissement de femme». Le thérémine – un des plus anciens instruments de musique électronique– date de 1919 : il est inventé par le Russe Lev Sergueïevitch Termen («Léon Theremin») qui fait une démonstration si convaincante devant Lénine que celui-ci décide d’en prendre des leçons. Le Thérémine capte les mouvements à distance. On entend ce son bizarre, évocateur de fantômes et d’envies, dans La Maison du docteur Edwardes (Hitchcock). Adaptant l’idée du Thérémine aux légumes, Etsuko invente donc les radis qui chantent d’amour. Mais ce n’est pas tout.

The system substitute reality for delusion / 妄想と現実を代替するシステム SRxSI from Etsuko Ichihara on Vimeo.

Réalité de substitution mixée avec radis hyper-sensible

L’idée lui vient de relier ces radis vocaliseurs à un système de jeu en Réalité Virtuelle (VR). «J’ai découvert l’existence d’oeuvre interactives. Cela m’a beaucoup plus, j’ai voulu essayer moi aussi. A cette époque, j’étais particulièrement intéressée par la culture du sexe au Japon. Je suis allée dans des musées du sexe. C’est à partir de là que j’ai créé des projets absurdes comme “Interface de harcèlement sexuel [Sekuhara Interface]». Le nom complet du projet est SRxSI, l’acronyme de «Substitute Reality x Sekuhara Interface». Il se «joue» à l’aide d’un casque de VR permettant de faire l’expérience d’une rencontre érotique avec quelqu’un qui n’est pas là. Ce que le joueur voit, en 3D, est une personne séduisante, mais absente. Une jeune fille à la jupe courte s’approche en souriant, presque à toucher le spectateur, le frôle, le regarde, invite à la caresse. Il n’y a qu’à tendre la main pour avoir l’impression de frôler sa cuisse nue. En réalité, le joueur touche un radis. Mais son cerveau, désorienté, ne parvient pas forcément à faire coller la perception visuelle avec la perception tactile. L’image hyper-réaliste d’une jeune fille se superpose à la sensation déroutante d’un contact inadéquat. C’est d’autant plus perturbant quand le radis gémit langoureusement sous l’impulsion de la main qui l’effleure.

Des robots de deuil qui servent à «invoquer» les défunts

L’oeuvre se veut troublante. Son titre même joue de façon étonnante avec l’idée du harcèlement ici vécu comme une expérience positive. L’expression sekuhara (abréviation de sekushuaru harasumento, pour sexual harassment) émerge dans les médias japonais vers la fin des années 1980 et la majorité des Japonais l’identifient comme un comportement répréhensible. Pour Etsuko, non sans humour, il y a une forme de harcèlement dans le fait de faire jouir une femme… à moins qu’il ne s’agisse d’une illusion ? Celle qui jouit n’est en effet nulle part ailleurs que dans la tête du joueur. Il croit procurer du plaisir alors qu’il caresse un radis. C’est ce comportement pour le moins ridicule que l’artiste met en scène, nous renvoyant subrepticement à l’idée que tout dans ce monde relève de la simulation. Etsuko Ichihara ne s’est d’ailleurs pas contentée de créer des oeuvres érotiques.

Elle a aussi mis au point des robots de deuil, programmés sur le modèle des clones post-mortem : ils enregistrent la voix, les tournures de phrase, les tics langagiers, les idiosyncrasies d’une personne. Elle les nomme Digital Shaman. Les défunts parlent par leur intermédiaire, mais pour un laps de temps limité… Personne n’est éternel.

Digital Shaman Project / デジタルシャーマン・プロジェクト from Etsuko Ichihara on Vimeo.

Lorsqu’elle meurt, une croyance veut en effet que l’âme d’une personne reste autour de ses proches pendant 49 jours. Pendant 49 jours, les robots de deuil reproduisent la présence du défunt dont ils portent le masque (fait à partir d’un scan en 3D), parlent avec les proches et leur font des adieux. Lorsque le compte à rebours atteint zéro, le robot s’éteint. Sa tête s’incline, son masque tombe. Encore une illusion… comme tout ce qui nous maintient en vie.

Mes sims sont plus belles que vos réalités

«La société moderne a tendance à cacher des choses qui ne lui plaisent pas, dit Etsuko. Que ce soit la mort ou le sexe.» Ces choses, Etsuko Ichihara les montre, tout en montrant qu’il s’agit de leurres. Pour accentuer la portée de son message, elle s’habille volontiers en miko (desservante de sanctuaire shintô), dans une tenue blanche et rouge –blanche comme la mort, rouge comme la vie– qui l’apparente aux personnes chargées de servir d’intermédiaire entre les mondes. Ses oeuvres posent une question : quel monde est le vrai ? Celui qu’on ne voit pas ou celui qu’on croit voir ?

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PETIT DOCUMENTAIRE SUR ETSUKO ICHIHARA (11 mn)

NOTE 1 : On le trouve aussi parfois dessiné sur les plaquettes votives des sanctuaires dédiés à l’amour sous la forme de deux radis croisés en X, symbolisant l’union. Certains radis aux formes bizarres sont d’ailleurs considérés comme des offrandes privilégiées pour les dieux : c’est le cas des daikon à deux bulbes (futamata daikon, littéralement «radis à deux cuisses»), un symbole érotique très présent dans le folklore. Au Japon, plusieurs musées dédiés aux choses qui procurent du bonheur (les hihokan, «musées du sexe») conservent ainsi précieusement – tels des foetus en bocaux – ces radis qui se ramifient en deux jambes croisées ou écartées, fortement évocateurs d’une silhouette humaine…


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