Quantcast
Channel: sexes.blogs.liberation.fr - Actualités pour la catégorie : Actualité
Viewing all articles
Browse latest Browse all 253

Ghost rider en a une bien raide

$
0
0
Ghost rider en a une bien raide

Une érection dans la presse quotidienne régionale ? Aux Dernières Nouvelles d’Alsace, c’est possible. Le 11 juin 2016, les DNA publient (sans censure) un tableau-choc du peintre Antoine Bernhart, pour illustrer un article sur la «rigidité cadavérique».

Dans la page «Arts» des DNA, le journaliste Serge Hartmann annonce l’ouverture d’une exposition intitulée Rigor mortis, par allusion à ce raidissement du corps qui survient 3-4 heures après la mort, puis disparaît au bout de 2-3 jours, laissant place au phénomène de putréfaction. L’article est illustré d’une œuvre présentée comme «la plus forte de l’accrochage». Elle montre un couple de cadavres qui danse, tout en forniquant, reliés par un pénis gonflé de veines rouges. Au premier plan, deux jeunes filles impassibles rendent l’âme : des crânes ricanants sortent de leur vulve, environnés de flammes. Le tableau est actuellement exposé dans le cadre d’une exposition au Musée Ungerer portant sur les dessins macabres du dessinateur strasbourgeois Tomi Ungerer, bien connu pour la fascination qu’exercent sur lui les instruments de torture, les scènes de SM hardcore, la sexualité violente et la cruauté des normes sociales.

De Hans Holbein à Tomi Ungerer : filiation macabre

Enfant, Ungerer se nourrissait d’images de squelettes. Les dessins au vitriol qu’il publie en 1983 (sous le titre Rigor Mortis), s’inspirent directement des danses macabres de Hans Holbein (Les Simulachres et historiees faces de la mort), qui figurent dans la bibliothèque paternelle et qu’il consulte en cachette, comme s’il s’agissait de photos pornographiques. Adulte, Tomi réinterprète ces images à l’aune de sa haine des conventions sociales. Il caricature les dames du monde, les prêtres et les officiers en squelettes. Ses dessins satiriques se nourrissent d’angoisses et d’horreur. Certaines images sont tellement insupportables que l’éditrice refuse de les publier. On peut maintenant toutes les voir au Musée Ungerer, qui les dévoile au grand public, accompagnées de huit œuvres originales spécialement commandées pour l’occasion à des artistes, vivant et travaillant pour la plupart dans la région de Strasbourg : Antoine Bernhart, Hervé Bonhert, Marie-Amélie Germain, Julien Kuntz, Laurent Impeduglia, Daniel Depoutot, Pascal Poirot et Jakob Kirchmayr.

La charogne n’aura pas sa peau

Invité à donner sa vision de la Danse macabre, Antoine se réjouit. Enfant, déjà, il était fasciné par les «bagues à tête de mort exposées aux fêtes foraines». Pour lui, les crânes c’était les bikers, la drogue et le rock’n’roll. Ses premiers dessins montrent des Elvis Presley ou des Betty Page au visage écorché, les mandibules à nu, les orbites vides, fixant sur le spectateur un regard d’outre-tombe. Antoine se représente aussi volontiers en cadavre, mais phallique. Ses morts bandent. Dans des tableaux à la noirceur grinçante, il ne met jamais en scène que cette forme de bravade qui consiste à «crâner», littéralement : même pas mort ! Avec «un esprit frondeur qui fait écho à l’humour médiéval» (1), Antoine Bernhart s’inscrit dans la lignée des artistes qui exorcisent l’horreur en la représentant, dans toute sa théâtrale démesure, sur fond de punkitude.

Totentanz, version érotique

Lorsque Thérèse Willer, la Conservatrice du Musée Ungerer le contacte pour passer commande d’une danse macabre, il saute de joie. «Un ami photographe m’avait sollicité pour poser nu avec la danseuse Geneviève Charras, sur le thème des Amants Trépassés, un tableau du XVe siècle. Une fois la photo faite, j’avais suggéré à Geneviève de bouger un peu et nous avons esquissé quelques pas de danse devant l’appareil du photographe. Quand on m’a soumis le projet«Rigor Mortis», ces attitudes me sont revenues en mémoire. Elles collaient parfaitement.» Antoine décalque les clichés, substitue aux visages des crânes aux langues dardantes, rajoute un pénis diabolique à son personnage et compose la danse en un dessin géant (1,40 mètre) que le Musée dispose en bonne place. On n’a pas froid aux yeux à Strasbourg. Cette ville qui fait partie du bassin rhénan se rattache culturellement à toute la région qui voit naître l’imagerie anticonformiste de la jeune fille et la mort.

La dérision par le sexe

Montrer du sexe sous couvert de leçon morale, quel plus beau pied de nez faire à la mort ? Lorsque le thème de la jeune fille et la mort apparaît (Baldung, 1517), il s’agit d’une subversion : les images de beautés dénudées, caressées ou violentées par des zombis putrides stimulent clairement le voyeurisme. La présence des morts ne fait que pimenter l’érotisme parfois provocateur de la scène. Rien à voir avec les danses macabres, qui ne montrent des charognes que pour inciter à la pénitence. Dès le XVIe siècle, les artistes séditieux qui mélangent érotisme et mort, le font avec la volonté manifeste de transgresser le message originel des danses macabres. Ces artistes appartiennent presque tous au sud germanique (dont Strasbourg) et aux villes gagnées par les multiples hérésies (dont la Réforme protestante), qui prolifèrent entre deux épidémies de peste, guerre, famine ou crise collective de folie. Il faut croire que depuis 5 siècles cette «tradition» se soit maintenue car c’est dans les Musées allemands et ceux de Strasbourg qu’ont toujours lieu les plus belles expositions d’art macabre et contestataire.

L’homme qui rit

C’est aussi, toujours dans cette aire culturelle, qu’on trouve les artistes contemporains les plus noirs et les plus radicaux dans le genre «suce des queues en enfer». Antoine Bernhart, probablement, remporte la palme. A l’âge de la retraite, ce grand diable maigre et balafré ne songe qu’à poser nu avec des femmes maigres et scarifiées, afin de comparer ses cicatrices aux leurs, «émerveillé», dit-il par la beauté des structures osseuses qui percent sous l’enveloppe de leur peau. La vérité de l’humain, c’est le squelette, dit-il. Car le squelette, lui, rit. A la question de savoir s’il peut bander pour un squelette, Antoine répond : «Le désir n’est pas domesticable, son champ d’action est immense. Tout peut me séduire, je suis un enfant qui découvre le monde comme un réservoir inépuisable de jouets louches et de sensations délicieuses et perturbantes».

.

EXPOSITION : RIGOR MORTIS (15 avril - 16 octobre 2016). Ce thème inspiré à Tomi Ungerer par Hans Holbein, a donné naissance en 1983 à un recueil de dessins satiriques et macabres. L’ensemble de la série est exposé en résonance avec des œuvres d’autres illustrateurs contemporains qui ont renouvelé le thème. Musée Tomi Ungerer : 2, avenue de la Marseillaise, Villa Greiner, 67000 Strasbourg. Té. : 03 69 06 37 27

NOTE 1 : je cite Elise Canaple (assistante principale au Centre de l’Illustration, Strasbourg), dans le catalogue consacré à l’exposition Dernière danse, l’imaginaire macabre dans les arts graphiques.

ILLUSTRATION : Antoine Bernhart, sans titre (Totentanz), encres, aquarelle, crayon de couleur et gouache sur papier, 140 x 62cm, 2015-2016, photo Mathieu Bertola. Photo : Olivier Lelong.

DEUX AUTRES EXPOSITIONS :

DERNIERE DANSE, L’IMAGINAIRE MACABRE DANS LES ARTS GRAPHIQUES (21 mai - 29 août 2016). L’exposition propose une déclinaison des variantes iconographiques des Danses macabres, depuis ses formes primitives jusqu’aux crises et conflits ayant ponctués le XXe siècle. Galerie Heitz, Palais Rohan : 2, place du Château, Strasbourg. Tél. : 03 68 98 51 60.

MACABRES DESSINS. Salon de lecture de la Dernière Danse (1er juin - 20 août 2016). Quand les créateurs contemporains récupèrent la mort et, pour certains, en font des livres pour enfants, ça donne quoi ? Médiathèque André Malraux : 1 presqu’île André Malraux. Strasbourg. Tél. : 03 88 45 10 10.


Viewing all articles
Browse latest Browse all 253

Trending Articles