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Un porno moins sexiste ?

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Dans le porno, le sexe c’est simple comme un coup de fil… Dans la vraie vie, les femmes ne sont pas si disponibles, ni si rapidement désireuses de s’offrir «par tous les trous». La réalisatrice Erika Lust propose un porno différent : «moins sexiste», dit-elle.

Dans le porno, le sexe relève du miracle instantané… Les hommes bandent sur un claquement de doigts et les femmes sont si chaudes qu’il n’y a même pas besoin de leur demander comment elles s’appellent. En 2014, Erika Lust prononce à Vienne un discours intitulé «Il est temps que le porno change» : «Imaginez une scène porno, dit-elle. Que voyez-vous ? Une femme. Blonde, robe ajustée, lèvres rouges, des seins comme des melons. Une bite de la taille de celle d’un étalon entre ses lèvres serrées. Elle fait une fellation. Pourquoi ? Parce qu’un mec bien est venu la secourir quand sa voiture est tombée en panne.» Dans la salle, tout le monde éclate de rire. Erika Lust ne peut s’empêcher de rire aussi, puis continue : «Après la “fellation de remerciement“, l’homme jouit sur son visage et la femme… sourit aux anges. Comme si elle était comblée». Erika Lust conclut : «C’est ça le porno. Il est temps que le porno change».

A priori, on ne peut qu’approuver cette critique d’un modèle courant de porno. Dans beaucoup de films X, le rôle de l’actrice se limite souvent à mimer la fille en rut, trempée de désir pour un homme qu’elle vient à peine de rencontrer et suffocant de joie alors qu’il s’enfonce jusqu’au fond de sa gorge, aie, ou qu’il lui pilonne brutalement le col de l’utérus, ouille. Tout cela sans préservatif. Ciel. Lorsqu’on regarde ce genre d’images, on se dit qu’Erika Lust a peut-être raison de défendre, – comme Annie Sprinkle pionnière du féminisme pro-sexe –, l’idée selon laquelle : «La réponse au mauvais porno n’est pas l’abolition du porno… c’est faire du meilleur porno»…

Diplômée en Sciences Po et Etudes de genre en Suède, Erika Lust se définit comme une «réalisatrice féministe de films pour adultes». Elle est d’origine suédoise : «Rappelez-vous d’où je viens, insiste-t-elle. Probablement le meilleur pays pour grandir avec une conscience féministe. Le premier pays du monde à avoir instauré l’éducation sexuelle à l’école.» Elle travaille à Barcelone où elle a fondé sa maison de production (1) et depuis environ un an, sur Internet, Erika s’efforce de faire participer les spectateurs-ices à son effort de rénovation du porno. Elle a lancé le projet XConfessions. «Chaque mois les utilisateurs-ices du site XConfessions.com envoient de façon anonyme leurs fantasmes. Erika choisit les deux histoires les plus excitantes et les transforme en court-métrages érotiques».

«XConfessions, fait par vous et par Erika Lust» semble faire un tabac. Vanessa, l’attachée de presse de Lust Film affirme qu’il y a eu au cours de l’année 2015 une augmentation de 86% du nombre d’abonné(e)s par rapport à 2014. «C’est la première fois qu’un projet pareil obtient tant de succès dans l’industrie du divertissement pour adultes !». Les gens qui envoient des fantasmes sont de toutes nationalités. Leurs confessions – rédigées en français, anglais, espagnol, allemand, italien, etc – couvrent une large gamme de pratiques : «J’ai couché avec mon beau-frère», «Triolisme à l’hôtel», «Faire du catch avec une femme forte», «Mater du porno chez moi avec une autre fille», «Trois mâles me prennent tour à tour», «Spectrophilie», «Rendez-vous avec mon maître», «Masseuse dans un complexe de luxe»…

Ces films présentent la caractéristique de toujours mettre en scène des relations égalitaires, agrémentées des multiples marques extérieures de respect, d’affection ou de désir réciproque. Il s’agit, même dans les scènes sadomasochistes, de montrer que l’individu est précieux autant que ses désirs, y compris les plus «sales». «Je ne suis pas contre le sexe sale, répète Erika Lust. Je suis pour des valeurs propres. C’est-à-dire : la réciprocité, le consentement, le réalisme et le fait que chacun y trouve du plaisir, qu’il s’agisse de fantasme brutal ou d’étreinte aux pétales de rose.» Lorsqu’elle défend sa vision des choses, Erika Lust ajoute volontiers qu’elle est mère de deux filles : Lara, 8 ans et Liv, 4 ans. «Je ne veux pas qu’elles apprennent l’estime et l’image de soi à partir de mannequins retouchés. Je ne veux pas qu’elles prennent l’habitude de fumer ou de mal manger et je ne veux pas qu’elles apprennent le sexe à partir d’un porno sexiste».

Erika Lust part du principe que le porno constitue maintenant une des principales sources d’information sur le sexe. Pourquoi ? Parce que c’est un discours qui s’est accaparé le champ de la représentation sexuelle, dit-elle (2). Ce discours participe forcément de la façon dont on vit le sexe. «Saviez-vous qu’on estime qu’un tiers du trafic internet est de la pornographie ? Saviez vous qu’une recherche google sur quatre c’est quelqu’un qui cherche du porno ? Savez-vous que les ados regardent du porno en ligne avant d’avoir des relations sexuelles ? Le porno est l’éducation sexuelle d’aujourd’hui. Et ça a un impact sur l’éducation du genre. C’est quoi la source d’inspiration de nos enfants ? Du porno nul, mauvais et macho. C’est pourquoi il est temps que le porno change. Il faut apprendre à nos enfants à se respecter et à valoriser eux-mêmes et leur sexualité. Il faut leur apprendre à poser un oeil critique sur les représentations sexuelles».

L’effort d’Erika Lust, certainement, est louable. Mais l’insistance avec laquelle elle défend l’idée qu’il faut «filmer la femme comme un individu sexuel et non pas comme un instrument de plaisir masculin» pose cependant problème, car elle repose sur des préjugés nuisibles à la compréhension de ce qu’est un fantasme. Un fantasme, par définition, n’est ni moral, ni réaliste. Vouloir filmer des fantasmes confronte forcément le réalisateur, quel que soit son sexe et sa déontologie, à l’obligation de filmer des scènes qui ne sont pas réalistes. Encore moins bienséantes. Pour être excitant, un film doit montrer le désir. Dans le porno, les individus en présence éprouvent un désir tel qu’ils se sautent dessus sans même discuter de fleurs ou de méthode contraceptive… Il s’avère d’ailleurs que dans les films d’Erika Lust, – comme dans n’importe lequel des pornos qu’elle critique –, les femmes (autant que les hommes, faut-il le souligner ?) ont des envies sexuelles pressantes et irrépressibles. Si Erika Lust filmait le lent travail d’approche qui préside aux rencontres, ses films perdraient toute puissance d’impact : il serait impossible de se masturber dessus. Ce serait des comédies romantiques.

Quant à la question de savoir si la femme dans un porno est un «instrument de plaisir masculin»… C’est une question complexe. L’homme qui bande à l’écran n’est-il pas lui aussi un instrument de plaisir pour la femme ? Ceux et celles qui mâtent le film n’en font-ils pas l’équivalent d’un sextoy ou d’une poupée Ken à grosse queue ? Objet de désir, casté sur son corps musclé autant que sur son pénis XL, la pornstar mâle n’a pas forcément un statut supérieur à celui de la pornstar femelle. «Oui, mais c’est lui qui jouit dans le film, protestent certain(e)s féministes. C’est aussi lui qui impose les positions, force les trous, défonce les orifices, martelle les fesses de la femme, la bâillonne avec son pénis et lui macule le visage de sperme.» Le fantasme de la femme abusée, brutalisée ou réduite au statut de «vide-couilles» est en effet courant dans l’industrie hardcore. Mais il est également courant dans beaucoup de productions homosexuelles, sans que personne ne s’en formalise.

Pourquoi dire qu’une production est sexiste lorsqu’elle est hétéro, alors que le même rapport de force peut exister entre deux gays ou deux lesbiennes ? Les films de sévices sont légions sur les sites de «porno alternatif» : «Cambrioleur se fait baiser de force», «Esclave de sa codétenue», «Gay musclé explose le cul d’un pote», «Kidnappée dans les chiottes, elle se fait enculer par une bande de filles»… Que déduire du succès que ces films obtiennent ? Plusieurs interprétations sont possibles. La première interprétation, c’est que les gays et les lesbiennes sont les victimes – autant que les femmes hétéros – d’une vision binaire du monde et qu’ils-elles ont intériorisé le schémas qui impose la séparation entre un pôle mâle (brutal, dominant) et un pôle femelle (soumis, passif). La seconde interprétation, c’est que les fantasmes les plus excitants sont souvent les plus transgressifs et qu’il y a dans la violence une énorme dose de transgression. Quelle interprétation trouvez-vous la plus intéressante ?

Erika Lust a-t-elle raison de dire qu’un porno anti-sexiste est forcément un «meilleur» porno ? Cela n’enlève rien à la qualité de ses films, bien sûr, mais peut-être serait-il temps de remettre en cause la vision moralisatrice qui contribue à culpabiliser les amateurs et amatrices de porno mainstream… sous prétexte que ce qui les excite est «mauvais et macho». Le concept de «porno féministe» a d’ailleurs fait son temps. Il ne veut rien dire. Peut-être même qu’il est nuisible.

Ce sera l’objet du prochain article.

POUR EN SAVOIR PLUS : le site XConfessions contient des courts-métrage (10 mn en moyenne) d’Erika Lust, réalisés à partir de fantasmes envoyés par ses spectateurs-ices. Le site Lust Cinéma contient des longs-métrages réalisés par des femmes ou hommes féministes (Tristan Taormino, Ovidie, Graham Davis, Jackie St James, Erika Lust, etc) qui défendent l’idée d’un porno éthique.

AUTRES ARTICLES : «A quoi sert le porno ?»

NOTES

(1) «Dès la création de l’entreprise en 2005, on a eu une croissance exponentielle. On a doublé chaque année les ventes et enregistré une moyenne de 3000 nouveaux abonnés par mois sur le site. Notre audience se divise en 50% hommes et 50% femmes». (Vanessa, attachée de presse de la compagnie Lust Films).

(2) «J’ai condamné le porno jusqu’à ce je tombe sur “Hardcore“, un livre de Linda Williams, professeur à Berkeley. J’ai appris que le porn n’est pas juste du porn mais en fait c’est un discours, un discours sur la sexualité, sur la masculinité, sur la féminité et sur les rôles que nous jouons. Ce fut mon moment Eureka. J’ai compris que les seuls qui participent au discours de la pornographie sont les hommes. Des hommes machistes, étroits d’esprit, des hommes à faible intelligence sexuelle. Mais le monde n’a-t-il pas changé ? Le rôle des femmes n’a-t-il pas changé ? Dans la politique au travail, à la maison, au lit… Le monde n’est-il pas une meilleur endroit grâce à cela ? Le rôle des femmes est sujet de débats partout. Partout sauf dans l’industrie du porno. Il est temps que le porno change et pour cela on a besoin de femmes dirigeantes, productrices, réalisatrices… Je ne veux pas expulser les femmes du porno, je veux qu’elles entrent dans le porno. Le porno a besoin de femmes, derrière la caméra». (Erika Lust, lors des TEDx à Vienne)

ILLUSTRATION : «I imagine a rapt audience» (XConfessions de Jodie et Erika Lust)


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