
Connaissez-vous Pujol, le pétomane ? Il fait ses débuts à l’époque dite «belle». Sa carrière se termine lorsque ses bruitages sont recouverts par les canons de la grande guerre. L’occasion de se demander s’il existe un lien entre l’atmosphère politique et celle du corps.
Il peut sembler douteux d’écrire sur un pétomane alors que, partout, des bombes humaines explosent. Mais le sujet s’impose, et cela pour deux raisons. La première raison, c’est que le dernier des pétomanes a cessé de se «produire» en 1914, comme si la guerre était incompatible avec l’expression libérée du corps. Puisque nous sommes, semble-t-il, entrés dans un nouveau conflit, il est intéressant de poser la question. Quand certains sèment la foire, ose-t-on encore péter ? Sous état d’urgence, les concerts «alternatifs» peuvent-ils encore exister ?
La seconde raison, ainsi qu’Antoine de Baecque le souligne dans Le Club des péteurs– publié le 27 avril 2016 chez Payot – c’est qu’il y a «là une forme de civilisation» : parler ou produire du pet (pour peu qu’on le fasse avec talent), c’est substituer à la merde humaine quelque chose de plus léger. Le pet peut faire rire. Déjà ça de gagné : «Faire du sale, du vent, du pet, le ressort d’une expérience du beau, voici le paradoxe de ces textes érudits et brillants», explique Antoine de Baecque qui n’hésite pas à encenser le pet, allant jusqu’à évoquer sa charge de jouissance : «la jouissance de la langue est d’autant plus grande que l’objet de la langue est bas, vil, inconsistant». Son anthologie regroupe une centaine de textes. Parmi les meilleurs, il y a celui qui relate l’extraordinaire et véritable aventure de Joseph Pujol, le plus célèbre pétomane de France. Morceau choisi.
Yvette Guilbert raconte :
«C’est au Moulin Rouge que j’ai entendu les plus longs spasmes du rire, les crises les plus hystériques de l’hilarité. Zidler reçu un jour la visite d’un monsieur à visage maigre, triste et pâle, qui lui confia, qu’étant un «phénomène», il voulait vivre de sa particularité.
- Et en quoi consiste-t-elle, votre particularité, Monsieur ?
- Monsieur, expliqua l’autre en toute gravité, figurez-vous que j’ai l’anus aspirateur...
Zidler, froidement blagueur, fit :
- Bon, ça !
L’autre continua, d’un ton de professeur :
- Oui, Monsieur, mon anus est d’une telle élasticité que je l’ouvre et le ferme à volonté.
- Et alors qu’est--ce qui arrive ?
- Il arrive, Monsieur, que par cette ponction providentielle (sic)... j’absorbe la quantité de liquide qu’on veut bien me confier...
- Comment ? Vous buvez par le derrière ? dit Zigler effaré et aguiché. - Qu’est-ce que je puis vous offrir ?
- Une grande cuvette d’eau, Monsieur, si vous le voulez bien...
- Minérale, Monsieur ?
- Non merci, naturelle, Monsieur.
Quand la cuvette fut apportée, l’homme, enlevant son pantalon, fit voir que son caleçon avait un trou à l’endroit nécessaire. S’asseyant alors sur la cuvette remplie jusqu’au bord, il la vida en un rien de temps et la remplit de même. - Zidler constata alors qu’une petite odeur de souffre se répandait dans la chambre :
- Tiens, vous fabriquez de l’eau d’Enghien !
L’homme sourit à peine :
- Ce n’est pas tout, Monsieur... Une fois ainsi rincé, si j’ose dire, je puis - et c’est là toute ma force, expulser à l’infini des gaz inodorants... car le principe de l’intoxication...
- Quoi ?... Quoi ?... interrompit Zidler, parlez plus simplement... vous voulez dire que vous pétez ?...
- Heu... si vous voulez, concéda l’autre, mais mon procédé, Monsieur, consiste en la variété sonore des bruits produits.
- Alors quoi ? Vous chantez aussi du derrière ?
- Heu... oui, Monsieur.
- Eh bien, allez-y, je vous écoute !
- Voici le ténor... un ! voici le baryton... deux ! voici la basse... trois ! la chanteuse légère... quatre ! celle à vocalises... cinq !
Zidler, affolé, lui cria :
- Et la belle-mère ?
- La voilà, dit le «Pétomane».
Et, sur ce, Zidler l’engagea. Sur les affiches, on lisait :
Tous les soirs, de 8 heures à 9 heures
LE PÉTOMANE
Le seul qui ne paie pas des droits d’auteur.»
(Yvette Gilbert : La chanson de ma vie, 1927)
A LIRE : Le club des péteurs, une anthologie malicieuse, d’Antoine de Baecque, éditions Payot, avril 2016.