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Amour, guerre et folie: une histoire vraie

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Amour, guerre et folie: une histoire vraie

A l’aube de la premier guerre mondiale, Alma Mahler (AM) et Oskar Kokoschka (OK) vivent une passion folle dont l’opéra AMOK reconstitue la trajectoire agitée. Au moment où l’Europe traverse de nouveaux bouleversements… leur histoire fascine.

Vers 1830, une maladie mentale d’origine malaisienne (l’amuk, ou «fureur incontrôlable») fait son apparition en Occident sous le nom d’amok. L’amok est accès de rage suicidaire qui saisit certains hommes et les contraint à courir droit devant eux en tuant tout ce qu’ils rencontrent sur leur chemin. Vers 1909, un jeune peintre autrichien exécute un tableau intitulé Amokläufer («Coureur d’amok») qui préfigure la folie dans laquelle sa vie va sombrer.

Il s’appelle Oskar Kokoschka. Son histoire avec Alma Mahler donne AMOK, un opéra expressionniste, représenté les 25 et 26 février à la Chaux de Fond, en Suisse. Pour en construire la trame, Orianne Moretti, auteure et metteure en scène, s’est basée en partie sur les centaines de lettres échangées entre les amants, mais aussi sur l’histoire disséquée par Alfreid Weidinger (conservateur au Musée du Belvédère, à Vienne) et sur un passionnant décryptage de la chercheuse française Bénédicte Abraham. Sous ses airs de fresque hallucinée, l’opéra se base donc sur des faits réels. Les voici.

Alma Mahler naît le 31 août 1879 dans la Vienne fin de siècle et le contexte décadent de l’«Apocalypse joyeuse». Son père, Emil Schindler, est l’un des plus célèbres peintres paysagistes de l’Empire. Elle l’idôlatre. Quand il disparaît, l’année de ses 13 ans, Alma reste inconsolable. Sa mère se remarie avec un élève du «maître» : Alma devient la belle-fille de Carl Moll, un des chefs de file de la Sécession Viennoise. Elle a beau le haïr, c’est grâce à lui qu’elle fréquente l’avant-garde, dont elle devient rapidement une des diva. Elle est belle. Elle échange son premier baiser avec Klimt, dont elle est follement amoureuse. Elle flirte avec le compositeur Zemlinsky, le co-fondateur de la Sécession Olbrich, le peintre symboliste Khnopff, avant d’épouser Gustav Mahler qui, exige au préalable, qu’elle renonce à composer : il veut une vestale.

Par ailleurs, il est inhibé. Epouse chaste et dévouée ? Mère extasiée de deux beaux enfants ? Alma s’éteint, s’ennuie, devient alcoolique et finit par tromper Malher avec un jeune architecte allemand appelé Walter Gropius, rencontré en été 1910. Catastrophe : Walter Gropius «adresse à Monsieur Gustav Mahler une lettre enflammée qu’il destine à Alma et dans laquelle il lui propose de l’épouser», raconte Bénédicte Abraham.

«Cet acte manqué qui dévoile à Mahler toute la vérité sur leur relation» met le feu aux poudres dans le couple. Gustav songe au divorce, puis en parle à Freud qui le rassure et le réconforte. Après quoi, Malher tente de reconquérir sa jeune épouse, mais trop tard. Il meurt d’une infection généralisée, le 18 mai 1911, à l’âge de 50 ans. Voilà Alma veuve. Certains biographes (notamment Henri Louis de La Grange, chez Fayard) désignent du doigt la coupable : c’est elle qui l’a tué. De fait, celle que l’on nomme le Sphynx (mi-bête fauve, mi-femme), devient l’assistante et l’amante (?) d’un chercheur qui s’intéresse aux… mantes religieuses. «On a beaucoup dit qu’Alma «dévorait“ les hommes, explique Orianne Moretti. Il s’avère qu’un célèbre biologiste viennois –Paul Kammerer– lui fait faire des expériences avec des mantes religieuses, pour se distraire de son récent deuil ! Alma devait nourrir ces mantes avec des vers de farine». Onze mois après la mort de son mari, Alma, toujours vêtue de noir, en voilette de grand deuil, rencontre… Oskar Kokoschka.

OK est né dans une petite bourgade autrichienne sur le Danube. Voici une photo de lui, à l’âge de 5 ans.

Ses études artistiques, il les fait à l’École des Arts appliqués à Vienne. Il expose avec la Sécession viennoise pendant l’été 1908 et sa petite salle est qualifiée de «cabinet des horreurs». Il y montre, en autres choses, ses premiers autoportraits.

Le 4 juillet 1909 – lors de l’exposition du Wiener Werkstätte –, il présente dans le jardin un drame baptisé Meurtrier, espoir des femmes, qui met en scène le conflit ambigu entre Eros et Thanatos. C’est le premier drame de l’histoire de l’expressionnisme. «Ce spectacle a quelque chose de terrible, avec les Amazones brandissant des torches et la scène sanglante du meurtre, avec l’homme vêtu de rouge sang et la femme toute habillée de blanc. La pièce choque et l’affiche fait scandale. La représentation se termine en échauffourée. Il faut que Karl Kraus et Adolf Loos téléphonent au préfet de police pour qu’on puisse rétablir le calme.» (Source : Giorgio Podesta, L’Humanité).

Face à ce tollé général, OK en rajoute. Ainsi qu’Orianne le souligne : «Il se rase le crâne en protestation du scandale que fait sa pièce à Vienne et qui lui vaut dans un journal (bien avant l’arrivée des nazis au pouvoir), la qualification d'entartete kunstler : “artiste dégénéré“.»

Affichant sa tête de bagnard, tel Caïn porteur du stigmate qui le désigne comme assassin, OK nargue les bien-pensants. Adolf Loos l’encourage à quitter l’atelier du Wiener Werstätte, à se lancer dans le monde. «Il commence alors à peindre une importante série de portraits de grandes figures de la vie intellectuelle et artistique de la Vienne d’alors». Parmi ses modèles : Carl Moll.

Le 12 avril 1912, Alma Mahler rencontre OK dans la maison de famille, lors d’un dîner organisé par Carl Moll. Elle a bien évidemment entendu parler de ce jeune loup de l’art. La description la plus précise de leur rencontre, c’est celle que le photographe français Brassai recueille de la bouche d’Oskar lui-même, lors de leurs rencontres entre 1930 et 1931. Kokoschka lui aurait confié ceci : «Elle était si belle et si séduisante sous son voile de deuil ! Elle m’a enchanté ! J’avais l’impression qu’elle n’était pas indifférente non plus. De fait, après le dîner, elle m’a pris par le bras et conduit dans une pièce attenante, où elle s’est assise et a joué le Liebestod au piano pour moi…».

Liebestod (1865) signifie littéralement «la mort de l’amour». C’est le titre donné par Richard Wagner au Prélude de son opéra Tristan et Iseult. Rapidement, c’est le nom qu’on donne à tous les morceaux chantés racontant la mort des amants, par meurtre, désespoir ou suicide. Impossible pour OK de résister à une telle déclaration. Pour celui qui considère l’amour comme une guerre, mêlant pulsion de vie et de mort, rien de plus enivrant que leLiebestodt. «J’étais ébloui par elle, écrit-il dans son autobiographie. Elle me perturbait. Après cette soirée, nous sommes devenus inséparables».

Alma trouve en lui un amant fiévreux, celui peut-être qu’elle attendait de tous ses voeux. Mais elle refuse de s’engager. Il est «violent», écrit-elle dans son journal. Et surtout jaloux, possessif, obsessionnel. «Il vole les papiers d’Alma pour publier une annonce de mariage sans son accord, et refuse de se vêtir d’autre chose que du pyjama qu’il lui a subtilisé. Un peu effrayée par ces bizarreries, Alma prend ses distances, sans doute aidée par le fait que la mère d’Oskar l’attende devant chez elle avec un revolver, pour l’empêcher de revoir son fils» (Source : Pandora).

Opposant à OK qui désigne l’amour comme «chaos», AM joue les muses. Elle pose ses exigences à Kokoschka et réclame un chef-d’oeuvre en échange du mariage. De fait, il se met à produire frénétiquement. AM devient la femme sans laquelle il est impossible à l’artiste de vivre ni de créer. Mais la veut à lui tout seul. Il la veut vierge. Il la représente en Madonne, en mère immaculée, ce qu’Alma, trop longtemps tenue sous la coupe de Mahler, ne veut plus. Elle sort et s’amuse, entourée de ses prétendants, qui sont «nombreux», ainsi que l’explique Orianne Moretti : Walter Gropius, Hans Pfitzner, Siegfred Ochs, Bruno Walter, son amie lesbienne Lilie Leiser, etc.

Parmi les «rivaux» de Kokoschka, le plus grand est d’ailleurs un mort : Gustav Mahler, dont Alma se présente comme l’épouse à jamais éplorée. Elle fait installer le masque mortuaire de son défunt époux (masque réalisé par Carl Moll) dans le hall de sa maison à Vienne, Orthof, Semmering où OK s’est installé en concubinage. Ce jour-là, il «rentre dans une jalousie folle». La souffrance pour lui est déjà trop grande. Dès 1913, il exécute une gravure intitulée Marguerite au rouet, par allusion à la Marguerite de Faust, qui montre Alma sous les traits d’une jeune femme embobinant les intestins d’un homme éventré devant elle.

«Alma filant les intestins de Kokoschka, c’est le signe qu’OK est complètement «malade» de sa relation, explique Orianne Moretti. Sa jalousie le rend malade. Cette jalousie est présente dans quasi toutes ses oeuvres. Il est totalement «possédé» par cette femme qui en a fait sa victime. Mais comme il le montre dans d’autres oeuvres, il accepte (certes avec douleur) cette soumission et cette relation nourrit son inspiration et sa création«Une nuit avec toi Alma et je peux créer des jours entiers» (voir sa gravure Aristotle and Phyllis). Elle est la femme toute puissante, il se soumet à sa volonté, «idolâtrée» pour la puissance de sa beauté, de son intelligence» et en même temps…

Il ne le supporte pas. Il ne supporte pas non plus qu’Alma, enceinte de lui, avorte à deux reprises. La guerre vient d’éclater. Il décide de s’engager. «OK dans sa biographie, écrit qu’avant de s’engager volontaire dans l’armée autrichienne le 3 janvier 1915, il donna à sa mère un collier de perles rouges ayant appartenu à Alma comme gage de revenir vivant et comme témoignage de son amour pour Alma. Sa mère le conserva dans un pot de de fleur mais il finit par tomber par terre et se brisa. Dans mon opéra, je fais dire à Oskar, quand il donne ce collier à sa mère, que chaque perle est une goutte de son sang, un battement de son coeur».

Kokoschka s’engage. Alors qu’il attend son ordre de départ au front, Alma Mahler écrit dans son journal : «Oskar Kokoschka s’est échappé de moi. Il n’est plus en moi. Il est devenu un étranger non-désiré»… Bon cavalier, OK est versé dans les dragons puis envoyé sur le front russe en Galicie où il se fait percer le poumon d’un coup de baïonnette. Il reçoit aussi une balle en pleine tête. A peine rétabli, il demande à retourner au combat. «Le front lui paraît plus doux que la vie aux côtés d’Alma», explique Bénédicte Abraham. Les psychiatres parle d’amok concernant ces soldats qui, jaillissant des tranchées, se précipitent parfois en hurlant à travers les barbelés, dans une course folle vers les lignes ennemis… OK est KO. Alma lui apparaît tout le temps en songe. Mais elle n’est plus à lui, depuis déjà longtemps.

A la fin de février 1915, Alma Mahler voyage en effet à Berlin pour voir Gropius, lui aussi en mobilisé service actif : il a demandé une permission pour la retrouver. Leur passion renaît de ses cendres. Alma tombe enceinte et propose qu’il l’épouse. Ils se marient, lors d’une autre permission, le 18 août 1915, «en secret», souligne Orianne. «Sans nouvelles d’OK qui a été grièvement blessé le 29 août 1915, Alma se rend dans son atelier à Vienne, récupère toutes les lettres qu’elle lui a envoyées pour les brûler et s’empare également d’oeuvres d’Oskar Kokoschka… pensant qu’il ne reviendra peut-être pas vivant de la guerre».

Avide de guerre, Kokoschka parvient à se faire envoyer comme officier de liaison sur le front italien en juillet 1916. Il est de nouveau blessé sur l’Isonzo. Sur cette photo on le voit, avec son frère Bohuslav et sa soeur Berta. En uniforme, médaillé.

«De 1912 à 1915, Oskar a écrit 400 lettres à Alma jamais traduites en français», dit Orianne Moretti. Même après leur rupture, OK continue de lui écrire et de l’aimer. Il la supplie de lui pardonner. Qu’elle revienne. En vain. En 1918, pour remplacer Alma, il commande une poupée à une des fabricantes de marionnettes les plus connues de l’époque : Hermine Moos (ici sur la photo).

«Il lui avait décrit exactement comment il la voulait et fut très déçu à sa livraison. Il la menait partout et lui achetait des sous-vêtement à Paris, elle terminera décapitée dans une fin de party.» Un soir d’alcool, en 1922, Kokoschka «tue» la poupée puis jette son corps du premier étage. Les voisins appellent la police, croyant voir un cadavre dans le jardin. La même année, Stefan Zweig, ami de Freud, publie dans le grand quotidien viennois Neue Freie Presse (4 juin 1922) une histoire d’amour à mort intitulée Der Amokläufer (Le Coureur d’Amok). La boucle est bouclée.

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OPERA «AMOK» librement inspiré de la relation entre Alma Mahler et Oskar Kokoschka.

Musique de François Cattin / Livret et mise en scène d'Orianne Moretti / Décor de Adoka Niitsu. Création le 6 février 2016 à l’Opéra de Reims.

Coproduction Jeune Opéra Compagnie, Opéra de Reims, Correspondances compagnie

PROCHAINES DATES, en Suisse : 25 et 26 février 2016 au TPR de la Chaux-de-Fonds

A LIRE :

Kokoschka and Alma Mahler: Testimony to a Passionate Relationship, d’Alfred Weidinger, Prestel, 1996.

La vie d’Alma Mahler-Werfel ou la fascination réciproque du mythe et de l’oeuvre d’art, de Bénédicte Abraham. Cahiers d’études germaniques, 2006.


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