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Existe-t-il encore des tabous dans le porno ?

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Depuis les années 70 en France, la pornographie n’est plus illégale. N’importe qui peut tourner son porno-maison, mettre en scène ses fantasmes, même les plus bizarres, sans être accusé de crime. Cela signifie-t-il qu’il n’y a plus de tabous ?

En France, plus personne ne va en prison pour avoir photographié un corps nu, ni filmé un coït. Ce qui autorise les nostalgiques de la «proscription» à déplorer ce qu’ils désignent comme une «prescription» : «Maintenant, le plaisir est une norme». «Autrefois, il relevait de la transgression». «C’était la part maudite…». Surfant sur le sentiment général de malaise qui frappe notre société, certains affirment : «il n’y a plus de mystère». D’autres vont jusqu’à regretter le bon vieux temps durant lequel, «il était encore possible de profaner des interdits»… Comme si notre époque était celle d’une permissivité générale. Qu’en est-il en réalité ? L’idée de la transgression a-t-elle réellement disparue ? Oui et non. Dans un ouvrage collectif intitulé Cultures pornographiques, dirigé par le sociologue Florian Vörös, l’essayiste américaine Laura Kipnis signe un texte qui bouscule les idées reçues.

«La pornographie nous prend aux tripes. Toutes les réactions que l’on peut avoir, du dégoût à l’excitation en passant par l’indignation et le titillement, ne sont que des variantes du même corps-à-corps intense, viscéral, avec ce que la pornographie a à dire. […] Il ne s’agit pas que de friction et de corps dénudés : la pornographie a de l’éloquence. Elle a du sens, elle porte des idées. Elle porte même des idées rédemptrices. Mais alors d’où vient notre gêne ?». Pour Laura Kipnis, la gêne date peut-être du jour où la pornographie est devenue légale. Entre le moment de son apparition (au siècle des Lumières) et pendant tout le XIXe siècle, la pornographie opère «comme une forme de critique sociale dirigée à l’encontre des autorités politiques et religieuses.» Le pouvoir en place multiplie les condamnations. Sous couvert de moralité publique, il s’agit de «censurer l’agenda politique dont elle porteuse». Vient 1974. Brusquement, n’importe quel adolescent de 18 ans peut pousser la porte d’une salle de cinéma pour avoir sa dose d’organes génitaux en gros plan… Avec l’apparition du Web 2.0, dans les années 2000, une nouvelle étape est franchie : n’importe qui obtient l’accès aux vidéos porno qui sont mises en ligne via des sites de piratage ou autre.

Du jour au lendemain, ceux qui se régalaient d’images «interdites» se mettent à les dénigrer. Elles sont devenues des images à consommer, en libre-accès, offertes à tous, scandale. Et c’est pourquoi, criant à la «décadence», les amateurs de curiosités affirment que le porno n’est désormais plus porteur d’aucune transgression. Pour eux, le label X – synonyme de plaisir sans honte, ni culpabilité – rime avec sexe sans enjeux. Ils affirment que ces images ne lèvent aucune barrière morale et n’enfoncent plus que des portes ouvertes… ou des vagins déjà béants. C’est comme si – en démocratisant le porno – on lui avait fait perdre tout son pouvoir de déstabilisation. Ce que Laura Kipnis réfute : «Comme tous les autres genres de la culture populaire (la science-fiction, la comédie romantique, le policier, le noir), la pornographie obéit à certaines règles. Or sa règle première est la transgression. C’est un peu comme cet oncle qui réussit à mettre tout le monde mal à l’aise lors des repas de famille : son plus grand plaisir est d’aller chercher un à un les tabous, interdits et conventions de la société pour les transgresser».

S’il faut en croire Laura Kipnis, non seulement les tabous sexuels existent encore dans notre société, mais en très grand nombre. La pornographie elle-même n’est qu’une immense mise en image des interdits qu’elle bafoue et des règles qu’elle viole joyeusement. «La sueur qui coule des corps dénudés et de leurs improbables acrobaties sexuelles n’est pas la seule raison pour laquelle les images pornographiques nous collent à la peau. Nous sommes également captivé(e)s par la pornographie en tant que théâtre de la transgression», dit-elle, insistant sur le malaise que provoquent souvent les images de vidéos X. Si elles nous mettent mal à l’aise, n’est-ce pas justement parce qu’elles touchent au coeur même de nos «hontes cachées» et de nos «secrets sordides» ? «Les avant-gardes le savaient : la transgression n’a rien de facile, c’est un exercice intellectuel qui doit être calculé avec précision. Il faut connaître la culture de l’intérieur, réussir à discerner ses hontes cachées et ses secrets sordides, savoir comment l’humilier au mieux pour la faire tomber de son piédestal. (Aussi, pour commettre un sacrilège, faut-il d’abord avoir étudié la religion.)».

Reste à répondre à la question : quels tabous la pornographie met-elle à mal ?

La suite lundi.

A LIRE : Cultures pornographiques, dirigé par Florian Vörös, aux éditions Amsterdam. 320 pages. 23 euros. En librairie depuis le 22 mai 2015.

L’article de Laura Kipnis s’intitule : «Comment se saisir de la pornographie ?»


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